MARK ROTHKO 1903-1970 Fondation Louis Vuitton (FR)

ITALIANOENGLISH

Journal improvisé le mien d’un amour pour une rétrospective qui a rempli le visage de larmes pour plusieurs spect-acteurs. Pourquoi ?

Flânerie parmi les galeries de la Fondation Louis Vuitton, qui nous fait sentir perdus, en respirant par moments un air hostile à cause de toute la multitude de personnes qui s’attarde devant les œuvres. On voudrait rester en silence pendant ce parcours. Le seul instrument qui peut nous aider. Le silence non pas comme absence de son mais comme invitation à percevoir autre, au-delà de ce que nos sens nous offrent, un ailleurs par rapport au bruit de la réalité de cette exposition.

Ce silence va se promener sur les berges de mes pensées, en lisière de toutes les réflexions qui immédiatement enrichissent un carnet mental plein de ratures et de digressions. Nous ne pouvons pas perdre le monde fou dans lequel nous vivons, ainsi que notre modernité de plus en plus encline au désastre, même pas dans ces endroits.

Avec tous mes sens impliqués, il n’y a pas de solution de continuité entre le monde liquide et l’aérien dans lequel je me retrouve, comme à ma naissance. Dès mon premier regard, en pensant et en marchant parmi les œuvres, je commence à réaliser que mon parcours intérieur est rempli de vieux placards, de bureaux pleins d’objets et de collections conservées dans les tiroirs : pas seulement la mémoire de l’artiste qui nous a précédés, pas seulement l’histoire que j’ai traversée. Je vois tout ça comme un immense tas de ruines éparpillées et amoncelées. Débris d’art, de créativité, de perceptions, de sensations qui ne voudraient pas être recomposés. Mais dans cette cathédrale de beauté et d’éthique de Mark Rothko, ce qui est en dessous doit être porté au-dessus pour en faire une nouvelle expérience.

Avant de commencer à dévoiler le sens de cette extraordinaire exposition parisienne, nous avons à travailler sur nous-mêmes, comme les architectes font lorsqu’ils doivent élargir des surfaces épuisées : ils s’attellent à créer des espaces souterrains. Nous aussi, dans nos conditions, vivons d’une façon limitée. Nous sommes limités par l’endroit où nous sommes nés, par la famille dans laquelle nous avons grandi, par les institutions qui nous ont formés et informés. Mais c’est notre responsabilité celle de trouver un moyen d’élargir nos espaces.

Il serait dommage de gâcher la rencontre avec Mark Rothko, une figure importante de la peinture américaine du XXe siècle, associée aux artistes de l’Expressionnisme Abstrait, qui a construit sa réputation avec une singularité paradoxale : exprimer exclusivement à travers l’abstraction “les émotions humaines basilaires”. Grace à lui, l’Art a trouvé une dimension inattendue, à la fois intemporelle et universelle, représentant le “drame humain” : la vulnérabilité.

Le sien est un exercice entre horizontalité et verticalité, qui va de haut en bas, de l’extérieur vers l’intérieur. Un ent éternel mouvement dans un espace vaste et impur où nous restons impliqués : nous regardons, nous sentons, nous touchons, nous entendons. Et enfin, nous atteignons ces barrières qui nous disent d’aller à gauche ou à droite, mais certainement de ne pas aller droit devant.

Dans le silence, imbus de pensées pleines de ratures et de divagations, nous aurons avec Mark Rothko la possibilité d’aller où nous voulons : droit devant.

Haut et bas, vous vous souviendrez. Dehors, dedans. Nous pouvons réinventer le processus créatif de l’artiste, en se déplaçant  sans hâte, en expérimentant des nouvelles émotions, en absorbant son paysage intérieur. Ainsi, nous découvrons des fissures, des surfaces, des couloirs souterrains d’une existence complexe dans laquelle nous pouvons voyager dans différentes directions.

En regardant le monde à travers un objectif différent, nous réalisons que ce qui semble normalement énorme devient lilliputien, tandis que tout le reste semble soudainement gigantesque. Cela peut provoquer une désorientation, mais une soudaine impulsion nous pousse ailleurs : droit devant !

Avec des pas par moments rapides, par moments lents. C’est une dimension différente, où en chaque point on peut se relier à l’autre dans un processus complexe de corrélations, comme une maison avec des couloirs infinis, ou comme un arbre rhizomatique.

Notre vie recommence à s’ecouler, à bouger. La mémoire, la vie, le cœur de Mark Rothko ne sont plus un pays étranger, riche d’émotions étrangères, mais deviennent notre patrie, même son suicide.

G-66PL6CNJ8R